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La Cour des comptes étrille les achats hospitaliers de médicaments

Article créé le
13/10/2017
-
modifié le 07/09/2018

PARIS, 12 octobre 2017 (APMnews) - La Cour des comptes émet plusieurs propositions pour "repenser le dispositif d'achat des médicaments", dont elle critique largement l'efficience, la régularité et la probité, dans son rapport sur les achats hospitaliers rendu public mercredi.
La Cour des comptes a établi ce rapport à la demande de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de l'Assemblée nationale en décembre 2014 (cf APM CB9OP2QDP). Pour réaliser son enquête, son premier président a institué une formation inter-juridictions commune à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes (CRC).
La juridiction y critique un marché "dominé par les stratégies de vente des laboratoires". Le poids des 20 premiers laboratoires fournisseurs n'a cessé de croître sur la période sous revue, avec un pic en 2014 de leur chiffre d'affaires à hauteur de près de 1,2 milliard d'euros.
En 2015, figuraient parmi les 10 premiers fournisseurs Gilead (270 millions d'euros), Roche (138 millions), Merck & Co (128 millions) et le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB, 89 millions).
La Cour des comptes fustige un "marché peu lisible et mal connu", car les prix réellement payés par les hôpitaux ne sont pas recensés, les écarts de prix mal connus et surtout mal analysés, et ce alors que les pouvoirs publics ne connaissent par les prix d'achats intra-groupement homogène de séjour (GHS). "Les différents acteurs publics ne disposent aujourd'hui que d'une vision parcellaire de la réalité de l'achat des médicaments par les établissements", affirme-t-elle.
La conséquence de ces "déficiences" est d'empêcher des baisses des prix pour le Comité économique des produits de santé (CEPS) sur le fondement du prix réel payé par les hôpitaux, aussi bien pour les médicaments achetés par les hôpitaux et également commercialisés en ville, que pour les médicaments de la liste en sus ou rétrocédés, écrit-elle.
Selon la directrice générale de l'offre de soins (DGOS), 55% du volume d'achat de médicaments serait en situation d'exclusivité. En conséquence, la négociation est "complexe" à mettre en oeuvre et "donne des résultats limités", assène la Cour.
Dans la liste en sus, pourtant spécialement prévue pour les médicaments onéreux, l'effet des négociations est également "limité": en 2014, la marge obtenue par l'ensemble des établissements a été de 2,51%, soit 51 millions d'euros sur 2,3 milliards de dépenses. Cette marge n'était même que de 36 millions en 2015 -un écart faible aussi observé pour les dispositifs médicaux. "Ces données montrent le faible impact de la négociation et probablement aussi la persistance d'un trop grand nombre d'acheteurs", conclut-elle.
Les magistrats mettent en lumière la "problématique ciblée mais révélatrice de la stratégie des laboratoires" visant à céder presque gratuitement certains médicaments afin de favoriser leur usage en sortie d'hospitalisation. Il est donné l'exemple du Doliprane* (paracétamol, Sanofi), qui génère 30 millions d'euros en prescription hospitalière avec délivrance en ville.
Le mécanisme de l'écart médicament indemnisable (EMI) est aussi jugé "complexe" et "largement contourné par des remises parallèles". Ce dispositif permet à l'assurance maladie de récupérer une partie du différentiel entre le prix auquel les pharmacies à usage intérieur (PUI) achètent les médicaments et celui auquel elles les revendent dans le cadre de la rétrocession, ou ceux inscrits sur la liste en sus.
Au total, la Cour des comptes fustige une "attention portée à la régularité et à la probité de la commande publique [...] insuffisante". Outre les "nombreuses faiblesses", la prévention des conflits d'intérêts dans le processus d'achat est "peu prise en compte" et l'efficience est "très mal mesurée".
Les magistrats appellent à profiter de la réunion en groupements hospitaliers de territoire (GHT) pour répondre à la dispersion des acteurs, car seuls les laboratoires disposent d'une vision globale du marché à l'heure actuelle. Ceci permettra notamment une réduction du nombre de références -vue comme une "voie de progrès de l'achat"- et une meilleure mutualisation de l'achat des médicaments afin de "dégager tous les effets en termes de prix".
La Cour des comptes plaide même pour examiner la possibilité de confier au CEPS la fixation du prix des médicaments hospitaliers. Elle fait valoir une réduction de l'asymétrie entre acheteurs et vendeurs grâce à une négociation unique et centralisée, un rapprochement des régimes de prix ville et hôpital, et un "allègement substantiel" des procédures d'achat pour les hôpitaux.
Neuf recommandations

Neuf recommandations sont formulées, à destination des établissements, des agences régionales de santé (ARS), du CEPS et du ministère de la santé:
rendre obligatoire, au sein des établissements publics de santé et des groupements d'achats, le dépôt de déclarations d'intérêts des agents participant, dans le processus achat, à la définition du besoin et à l'analyse des offres
fiabiliser le mode d'établissement des gains d'achat et clarifier les conditions de leur prise en compte dans la trajectoire de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) hospitalier
mettre en place dans les GHT, en complément de l'indicateur "gain d'achat" (cf APM SAN70X020W), des indicateurs de mesure de la performance de l'achat hospitalier à partir de données budgétaires et comptables fiabilisées
organiser et rendre systématique des parangonnages entre les groupements d'achats nationaux et régionaux, en rendre publique la méthodologie et en partager les résultats entre tous les opérateurs
remplacer l'"enquête médicaments" facultative par une déclaration annuelle et obligatoire par les établissements, au travers du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information), des prix d'achat des médicaments et des dispositifs médicaux intra et hors GHS, intégrant l'ensemble des avantages annexes obtenus lors de l'achat
dans le cadre des GHT, coupler la mise en oeuvre de la mutualisation de la fonction achat avec une optimisation de la fonction logistique afin de tirer tous les gains d'efficience et de productivité de réorganisations coordonnées
confier aux instances médicales du GHT les missions relatives à l'élaboration du référentiel des médicaments et des dispositifs médicaux, dans un objectif d'harmonisation des pratiques, de resserrement des livrets thérapeutiques à l'échelle du groupement et d'accélération de la mutualisation des achats
ajuster à la baisse de manière plus dynamique le prix des médicaments inscrits sur la liste en sus
supprimer le dispositif de l'EMI et examiner les conditions dans lesquelles le CEPS pourrait se voir confier la fixation des prix des médicaments hospitaliers.
Vague d'innovation en 2014

Les dépenses en médicaments ont coûté 5,8 milliards d'euros en 2015, avec 3 milliards entrant dans le cadre de la tarification à l'activité, 2,6 milliards pour la liste en sus et 256 millions pour les autorisations temporaires d'utilisation (ATU). Cela a constitué 44% des achats de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), 25% de ceux des CHU et 28% des CH.
Les nouveaux anti-cancéreux et anti-VHC ont fait exploser les dépenses nouvelles, passant de 62 millions entre 2013 et 2014 à 1,3 milliard en plus à 2015. "L'année 2014 a été ainsi une année de rupture, annonciatrice des prochains enjeux liés à l'arrivée de nouvelles molécules onéreuses et à la stratégie des laboratoires qui procèdent à des extensions d'indication très fréquentes afin d'élargir leur part de marché", commente la Cour des comptes.
"Les achats de molécules onéreuses et des médicaments destinés à la rétrocession ne sont pas dépourvus d'effets sur la situation financière des hôpitaux", du fait du décalage temporel entre dépenses et remboursements. Ceci impacte particulièrement la trésorerie des CHU, est-il indiqué. Les hôpitaux psychiatriques, dont le recours aux génériques est moindre et qui a été concerné par les nouveaux produits, ont particulièrement été concernés.
Concernant les dispositifs médicaux, deuxième poste d'achat des établissements, les dépenses ont atteint 3,5 milliards d'euros en 2015. Les CHU (dont l'AP-HP) concentrent 55% des achats. Les achats de dispositifs médicaux par l'AP-HP représentent 20% de ses dépenses, soit 469 millions. Les CH concentrent 45% des achats des dispositifs médicaux, soit 1,6 milliard. Il est aussi relevé que les offres acquises avec les dispositifs médicaux (formation, prêt d'équipement, hébergement de données, etc.) fait apparaître "des montants réels bien plus importants que le seul coût d'acquisition".
"Contrairement à d'autres types d'achats, l'achat des dispositifs médicaux est quasi-intégralement réalisé au sein de chaque établissement", note la Cour des comptes. Comme les demandes sont liées aux pratiques médicales des équipes -donc éparpillées-, cela freine le nécessaire resserrement des références des dispositifs médicaux, pourtant déjà à l'oeuvre dans le privé, alors que cela permettrait d'améliorer la visibilité sur l'offre.
"Les achats hospitaliers", Cour des comptes